![[Image]](pict21.jpg)
"CLUNY / CITEAUX : deux ordres monastiques rivaux" ![[Image]](pict10.jpg)
Compte
rendu du b'art du Samedi 8 Février 2014
(93éme du
nom)
(par Didier)
"CLUNY / CITEAUX : deux ordres monastiques rivaux"
avec Agnès GERARDHS
à la Médiathèque
René CASSIN Salle Albert DERRIEN
(par Didier )
![[Image]](pict939.jpg)
Agnès GERARDHS, (ma
collègue jusqu'à l'année dernière au collège Léon JOUHAUX, professeur
agrégée de sciences humaines.. On disait autrefois "Histoire /
Géographie") fait partie de ces personnes que tout passionne, et
qui n'ont qu'un objectif, ou plutôt deux : apprendre les choses et les
partager. C'est donc tout naturellement qu'Agnès est venue
évoquer "CLUNY / CITEAUX : deux ordres monastiques rivaux" ; elle qui écrivit, voici quelques années, rien moins qu'un
dictionnaire historique des ordres religieux (Fayard, 1998)
Ces deux ordres connurent au moyen-âge
et durant de nombreuses années, une période faste : d'incalculables
richesses, des centaines de monastères (répartis dans toute la
France et au-delà), des milliers de fidèles.
Ces deux ordres, issus de la même règle de Saint Benoît ont eu cependant des parcours bien différents.
Saint Benoît de Nursie est un moine qui, vers 540 après Jésus Christ, et pour
guider ses disciples dans la vie monastique, écrivit une
"Règle" modérée. Ses consignes, égrenant en détail les
modalités de prières, de travail, de détente et de comportement des
moines, eurent pour la période médiévale, une importance fondamentale.
L'abbaye de Cluny,
située
en Saône et Loire, fut fondée en 909 par le duc d'Aquitaine et comte
d'Auvergne Guillaume Ier ; c'est à cette époque, soit trois siècles
plus tard, sous l'impulsion d'un autre Benoît : Saint Benoît
d'Aniane, que la règle bénédictine devint vraiment la voie royale pour
les moines.
Grâce aux nombreux dons offerts par les
puissants de l'époque (dont Guillaume Ier) l'abbaye de Cluny et
l'ordre qu'elle représentait prit son essor. Se méfiant du pouvoir
temporel, trop prompt à critiquer la vie monastique ou lorgner sur ses
richesses, l'abbaye de Cluny se mit sous la protection des papes.
Deux abbés, successivement Odon et Odilon, propulsèrent l'abbaye au rang, pratiquement, d'état, voire d'empire !
Indépendance
totale vis à vis des pouvoirs temporel et séculier, battant sa propre monnaie, bénéficiant de
privilèges exorbitants, engrangeant des fortunes de la part des nobles
(notamment grâce aux récoltes occasionnées sur les terres offertes) :
L'âge d'or !
Cette
fortune et cette liberté d'action permirent durant de nombreuses
années, à l'ordre, de s'installer dans les grandes villes, notamment
Paris, où subsiste encore l'hôtel de Cluny, dont Agnès nous dit qu'il
faut absolument le visiter (je fais ici un petit coucou amical à Sandra, de l'association Pégasus découvertes, qui - justement - organise une telle visite)
Ecoles, pouvoirs, bâtiments somptueux : 1200 monastères,
plusieurs milliers de moines (vêtus de noir) ; Cluny se porte bien,
même si peu à peu, une crise morale s'installe face à cette situation.
La contestation monte contre un modèle monastique trop éloignée de la
règle originelle de Saint Benoît.
En 1122, l'abbé Pierre le vénérable réorganise la liturgie et l'organisation de la prière.
Agnès évoque la journée des moines. En voici l'emploi du temps, passé à prier, prier et... heu... prier ! (Un peu dormir, mais par pur ascétisme, dormir d'un sommeil volontairement entrecoupé !)

Hélas,
cette vie monastique ne convient pas encore assez à Bernard de
Clerveaux, qui, dès 1112 reproche à l'ordre de Cluny de manger trop,
boire trop et qui durcit les règles selon son idée. C'est une honte en effet de tremper sa nourriture dans la
graisse, alors que la viande est interdite, de mettre du miel dans le
vin pour en améliorer le goût !
Tous ces griefs, toutes ces attaques
finissent en fait par porter, puisque de nombreux monastères se
détournèrent de l'ordre de Cluny pour suivre les abstinences bien plus
proches de Dieu et de la foi, prônées par l'ordre de Cîteaux...
L'ordre cistercien !
Terminés
les monastères aux statues innombrables et aux vitraux colorés... à
présent, c'est dans le "désert", c'est à dire loin de toute vie
citadine, voire bourgeoise que les "filles de Cîteaux" - les abbayes
respectant cet ascétisme- voient le jour.
Finis les vêtements noirs ; voici les blancs.
Adieu les abbés riches comme des princes et si éloignés de leurs moines ; abbé reprend son sens syriaque initial : "le père".
Fraternité, pauvreté, communion.
Le
cloître, en plein coeur du monastère devient carré, par similitude
respectueuse pour les 3 dimensions. Les moines font de vrais jeûnes et
les jeunes non encore moines (ainsi que les convers, non religieux)
n'ont pas accès à la même (pauvre) table.
Respect, abstinence.
C'est
certainement cette optique sainte et dénuée de tout excès, qui
donnèrent à Cîteaux un respect encore d'actualité. Les règles
cisterciennes sont, d'après l'analyse d'Agnès, des valeurs
universelles, et ce ne sont certes pas les adeptes actuels de la
décroissance qui diront le contraire. Toujours est-il que les abbayes
cisterciennes sont encore nombreuses à visiter : Pontigny, Sénanque,
Royaumont...
Visiblement, la polémique et l'animosité existaient déjà à l'époque, puisque ces
deux fortes personnalités que furent Pierre le Vénérable pour Cluny et
Bernard de Clerveaux pour Cîteaux avaient une vision diamétralement
opposée, et de la religion, et de la société !
Pierre le vénérable
(malgré cette appellation positive) fut un antisémite violent, ainsi
qu'un "raciste" dirions-nous de nos jours, puisqu'il entreprit la
traduction du Coran, uniquement dans le but de le critiquer de façon
péjorative. Bernard de Clerveaux, lui, défendit les juifs, notamment à
l'occasion de la deuxième croisade.
L'un, citadin et ami d'Abélard
(le célèbre théologien, époux d'Héloïse) ; l'autre plus rural. C'est
d'ailleurs cet attachement à la terre qui permit à Bernard de Clerveaux
de mettre au point ce que le moyen-âge nomma l'assolement triennal
(procédé permettant aux sols, à cette époque non alimentés d'engrais,
de ne pas s'appauvrir) et de répandre partout en France bon nombre de
granges (identiques à celles de Vaulerent dans le Val d'Oise).
Je voudrais, avant de conclure, évoquer ici l'abbaye
d'Aubazine en Corrèze.. D'abord parce que-si vous lisez habituellement
mes comptes-rendus, vous savez que j'en suis (Coucou madame PUTEAUX !),
mais aussi parce que les vitraux de son abbaye, dénués de tout excès,
sont la preuve éclatante de l'épuration totale revendiqué par l'ordre
cistercien.
Enfin, raison supplémentaire : ce sont ces vitraux qui ont donné à Coco CHANNEL l'idée de son logo, lui aussi universel !

Elle vécut en effet à Aubazine. (ville également connue pour sa liqueur... que je vous conseille... avec modération !).
Les moines s'abstenir !
Cluny
fut détruite à la Révolution ; il n'en reste que quelques vestiges (il
fallut 20 ans pour retirer pierre à pierre... et en bâtir les
maisons alentours... Un peu comme la Bastille à Paris qui servit de fondements et de construction aux quartiers voisins).
Merci Agnès pour cette plongée historique dans le souvenir de notre société ; religieux, moral, social et surtout humain.
Comme
à l'accoutumée, la soirée s'est prolongée au restaurant franco-indien
où 13 personnes à table (mais oui !) ont discuté, dîné sans excès et se
sont régalés sans psalmodier mais en bavardant librement.
(Qu'y avait-il dans notre ... ascète? Venez avec nous la prochaine fois ; vous le saurez).
Que la paix soit avec vous !
Merci Agnès, de ton talent et de ton amitié.