[Image]L'Univers entre perfection et malfaçons[Image]

 Compte rendu du b'art du 23 Juin 2012  (75éme du nom)
"L'univers entre perfection et malfaçon"             
avec
Bernard LHERITIER 

          Merci infiniment à lui (et à son épouse Lyse !.... Si vous voulez voir de jolis tableaux : http://www.lyselheritier.fr/)

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L’UNIVERS ENTRE PERFECTION

ET MALFAÇONS

 

 

Cette conférence a été présentée à Livry-Gargan, dans le cadre de B’art des Sciences, le 23 juin 2012, par Bernard LHERITIER, du Cercle des Amateurs d’Astronomie.

 

Introduction                       La recherche de la perfection dans le monde est au croisement de la science, de la philosophie et de la religion.

Surtout, elle a été le puissant ressort qui a impulsé la recherche scientifique dans ses temps héroïque.

Le plan suivi sera chronologique.

I LE MIRACLE IONIEN                   Dans l’Antiquité, on appelait Ionie le rivage oriental de la Méditerranée, peuplé de cités grecques.

A Milet, Thalès enseigne que le principe qui anime l’univers est l’eau. Pour la première fois, le monde est expliqué par un élément naturel, sans intervention des dieux.

Privé de forces tutélaires, le philosophe doit proclamer la beauté du monde, et sa grande bonté. Ainsi l’univers devient habitable. Et même compréhensible, puisque fondé sur un élément simple et sans mystère.

Les disciples de Thalès (également Milésiens) reprendront son système en remplaçant l’eau par d’autres éléments.

A la même époque (VIIè s. av J.C.) les cités grecques élaborent leurs constitutions et leurs lois. Les relations entre les hommes, désormais réglés par l’autorité des lois, seront justes et harmonieuses.

L’harmonie du monde répond à l’harmonie qui règne chez les hommes. Le mot « cosmos » signifie, au départ, ordre et beauté. Le miracle ionien affirme à la fois la beauté du monde et les relations heureuses entre l’homme et le monde- ce qu’on nommera plus tard l’accord entre le macrocosme et le microcosme.

La statuaire de l’époque présente le Kouros, jeune homme souriant. Il s’avance dans le monde d’un pas décidé, en accord avec les dieux, les hommes et le cosmos.

II L’AGE HELLENISTIQUE, LE MONDE OBSERVE

IVè s.av J.C. les cités ont perdu leur indépendance. Leurs armées ont été vaincues par les phalanges de Philippe de Macédoine, qui est désormais le maître de la Grèce.

En politique, c’est une perfection nouvelle : plus de guerre entre les cités, l’empereur contrôle tout.

Donc l’astronomie demande une nouvelle perfection. Platon écrit dans le Timée que le monde a été ordonné par un esprit supérieur, le démiurge. Celui-ci lui a donné la forme d’une sphère. Et en effet, le ciel semble avoir cette forme que les astronomes appellent  « sphère céleste. » C’est un monde observé.

C’est aussi un monde pensé car Pythagore avait énoncé autrefois que la sphère est le plus parfait des solides, étant totalement symétrique. De même, le cercle est la plus parfaite des figures planes. La perfection du monde, c’est aussi la symétrie.

Platon est le continuateur des Ioniens puisqu’il affirme la beauté du monde et la place heureuse de l’homme dans la nature ; mais il réintroduit le divin dans l’ordonnancement du monde : la pensée grecque ne se distingue plus de celle des autres peuples.

Platon demande que les astronomes représentent la course des étoiles et des planètes par des mouvements circulaires uniformes. Eudoxe de Cnide réalise le système. Son monde est petit : la Terre est au centre du monde, les planètes tournent autour d’elle (le Soleil est une planète) La sphère des étoiles fixes enserre le tout.

En politique, chaque homme est encadré par les lois e sa cité, chaque cité dirigée par l’empereur ; en astronomie, chaque planète est posée sur sa sphère, chaque sphère juste à sa place dans l’ensemble pour former un cosmos.

La statuaire demande aussi une beauté nouvelle : Praxitèle nous séduit par la grâce de ses corps onduleux et par l’harmonie de leurs proportions.

Puis Ptolémée, astronome du IIè s. ap J.C., perfectionne le système d’Eudoxe. Les mouvements des astres sont plus conformes à ce qui apparaît dans le ciel. La Terre est toujours au centre, le Soleil et les autres planètes tournent autour d’elle. Le macrocosme et le microcosme sont en accord puisque l’homme est au centre du monde. Le cosmos est petit, c’est le système solaire et quelques étoiles.

III LE CHRISTIANISME , UNE PART D’IMPERFECTION

Au Moyen Age, le modèle du monde est toujours le système de Ptolémée mais la dernière sphère est l’Empyrée, domaine de Dieu et des anges .Au centre de la Terre se trouve l’enfer.

De même que Dieu dirige l’univers, de même l’Eglise a puissance sur les hommes. Le monde est toujours petit. L’homme, par son adoration, atteint Dieu.

Le clocher-flèche est l’image de cet élan vertical vers Dieu.

La Terre a un statut ambigu. C’est le lieu de l’exil et de la pénitence après le péché originel ; c’est aussi le lieu de la rédemption par Jésus Christ. Le baptême efface le péché originel et l’absolution lave le croyant de ses péchés.

Le destin des hommes est incertain, entre salvation et damnation.

Pour l’astronome, la Terre est au centre du monde, comme le point le plus important ; mais cette position la met en bas, du côté du mal.

Déjà Platon avait désigné les homes comme des êtres faillibles.

Et Aristote avait dit que la Terre est le lieu de l’instabilité et de l’imperfection : c’est le monde infra lunaire. Tandis que le monde supra lunaire, celui de la Lune et des astres, est le monde parfait, où il ne se passe rien.

IV LE RETOUR DE PLATON

A la Renaissance, Marsile Ficin fait connaître Platon à toute l’Europe. Les savants découvrent la perfection du monde inscrite dans le Timée. Ils se donnent pour but de retrouver dans la nature la perfection que le Créateur y a mise.

Tel sera le grand ressort qui animera la recherche scientifique.

Déjà les savants arabes du Moyen Age avaient travaillé dans cet esprit, cherchant dans la beauté de la créature la marque du Créateur.

V UNE NOUVELLE PERFECTION : COPERNIC

Cet astronome fait paraître son système en 1543. Le Soleil est au centre, les planètes tournent autour de lui. La Terre est une planète, elle tourne autour du Soleil en 365 jours. Elle a la beauté des planètes, elle est un astre, il n’y a plus de monde infra lunaire.

Les étoiles ne tournent plus autour de la Terre, c’est la terre qui gire sur son axe, donnant cette impression.

Le cosmos est toujours petit, limité au système solaire et à quelques étoiles.

Système politique : le Soleil au centre est l’image de Dieu, mais il est aussi le symbole des rois. Et justement, le pouvoir de l’Eglise recule peu à peu devant la puissance des monarques.

VI TYCHO,GALILEE ET L’IMPERFECTION DES ASTRES

1572 Tycho Brahé, grand astronome danois, observe une étoile nouvelle. Il l’appelle Nova Stella. Puis elle s’affaiblit et s’éteint. Le ciel ne serait-il donc pas figé dans sa perfection ?

1577 Tycho observe une comète. Elle est beaucoup plus loin que la Lune, dans le monde supra lunaire. Des événements se produisent dans les cieux !

De son mouvement, Tycho déduit :« Soit le mouvement n’est pas circulaire, soit le mouvement n’est pas uniforme »

L’univers serait-il imparfait ?

Puis la comète se déplace de planète en planète : elle a traversé les sphères d’Eudoxe ! La sphère, garante de perfection, doit être abandonnée…

La perfection définie par Aristote tenait depuis des siècles parce que les hommes répétaient avec respect les paroles des Anciens. Dès qu’ils ouvrent les yeux sur le ciel, l’arbitraire des certitudes données par les Anciens se dévoile.

Galilée invente la lunette astronomique. L’instrument révèle que la Lune est parcourue de montagnes, couverte de trous, baignée de mers : elle ressemble à la Terre. Elle n’est plus la limite entre la perfection des astres et les vices de la Terre.

Si la Lune est imparfaite, la suspicion est jetée sur « la perfection » des autres planètes.

Puis la lunette montre des taches noires sur le Soleil. L’astre du jour, symbole de Dieu et du roi, expose une perfection maculée !

A la Renaissance, les savants voient la perfection du cosmos se fissurer ; mais ils continuent à croire au mythe du cosmos parfait, parce que Dieu n’a pas pu faire une œuvre approximative, et parce qu’il est plus satisfaisant de vivre dans un monde beau que dans un univers boiteux.

L’ABANDON TRAGIQUE DE LA PERFECTION :KEPLER

La vie de Kepler fut tragique, marquée par la brutalité des guerres de religion. Pour lui, le monde ne peut être habitable que s’il reflète la perfection divine en dépit de son désordre apparent.

A son époque, six planètes seulement étaient connues. Et Platon désigne six solides parfaits parce que symétriques. Dieu n’a pas pu établir ces deux éléments par coïncidence. Kepler dessine les solides, juste dans le bon ordre pour qu’ils enserrent les six sphères en gardant les distances exactes entre les planètes : c’est le Mysterium Cosmographicum.

Enfin il a compris les intentions de Dieu : un ordre géométrique organisé par les solides parfaits. Une seule loi qui explique tout : on l’appellera plus tard la grande unification.

Puis Kepler reprend les données observationnelles de Tycho Brahé pour comprendre le mouvement des planètes. Il en résulte que ces astres se meuvent sur des ellipses. La beauté du cercle, la perfection de la sphère, doivent être abandonnées. Plus les savants travaillent à trouver les perfections de la création, plus ils mettent à jour ses vices de construction.

Le Mysterium Cosmographicum n’est plus de mise.

 

Kepler établit la deuxième loi de la mécanique céleste : une planète lancée sur son orbite accélère en un certain point, ralentit ailleurs. Non seulement le mouvement n’est pas circulaire, mais il n’est pas uniforme.

Enfin ce calculateur découvre la troisième loi de la mécanique céleste. Ainsi les positions des planètes dans le ciel deviennent prévisibles avec des siècles d’avance. Les déplacements des astres sont strictement mécaniques, privés d’intervention divine. Le cosmos n’est ni parfait, ni divin.

Cependant, un principe organisateur unique, la mécanique céleste, explique l’ensemble du monde : Kepler est arrivé à la grande unification, autre forme de perfection.

VIII UN DESORDRE DIVIN : PASCAL

Au milieu du XVIIè s. le monde est devenu infini. Le Soleil, la Terre, l’homme, ne sont plus que des détails sans importance dans un monde immense. Perdu entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, l’homme devient « un monstre incompréhensible à lui-même »Un tel monde ne réalise plus l’harmonie du macrocosme et du microcosme, il est angoissant.

Seule consolation possible dans un tel univers : l’amour de Dieu.

Les lois, pensaient les Milésiens, établissaient de bonnes relations entre les hommes. Pascal considère qu’elles ne font que masquer la loi du plus fort. Il faut fuir cette « misère de l’homme sans Dieu » pour se réfugier en Lui.

IX ENCORE UN MECANISTE MALGRE LUI : NEWTON

Fin du XVIIè s . Newton découvre la gravitation universelle : les corps s’attirent les uns les autres, et d’autant plus fort, qu’ils sont plus proches et plus massifs.

C’est la grande unification. Un seul principe mène tout le cosmos et nous le connaissons !

Mais ce principe est mathématique, et non pas divin. Une fois de plus, le monde tourne sans Dieu. Newton, homme de foi, explique que c’est Dieu qui produit l’attraction universelle entre les masses. Sans le vouloir, il réduit Dieu à n’être plus le Créateur, mais un simple principe d’action incapable d’assurer la beauté du cosmos.

Un tel monde mécanique rompt le lien d’amour réciproque entre le microcosme et le macrocosme ; les artistes au contraire élaborent le romantisme, qui chante le bonheur de vivre près de la nature. Pour la première fois, l’art tourne le dos à la science, et même à l’évolution de la société, puisque celle-ci est emportée par la révolution industrielle.

X EINSTEIN ET LA RECHERCHE DE LA GRANDE UNIFICATION

Au XXème s. Einstein explique le mouvement des astres par la déformation de l’espace-temps, remplaçant l’attraction. Du peu de divinité sauvée par Newton, il ne reste rien.

Ce nouveau principe n’est pas la grande unification. Car la mécanique quantique, qui naît à la même époque, fonctionne sur d’autres théories. Einstein a passé la deuxième part de sa vie à chercher la grande unification entre relativité et mécanique quantique, en vain. La beauté du monde reste hors d’atteinte.

Comme ses équations aboutissent à un univers en mouvement, Einstein introduit dans le calcul la constante cosmologique, qui équilibre les forces d’attraction pour fixer le cosmos.

XI EXPANSION ET BIG BANG

L’astronome américain Hubble découvre que les galaxies s’éloignent les unes des autres : l’univers est en expansion ! Einstein considère la constante cosmologique comme « la plus grande erreur de (sa) vie. »

Mgr Lemaître, prêtre belge, pense que l’expansion vient d’une explosion primordiale, le Big Bang. La première milliseconde de la création nous échappe : nul ne peut dire si elle est divine.

Depuis le Big Bang, le cosmos n’a cessé de se complexifier, de particules en atomes, d’atomes en étoiles, d’étoiles en galaxies. Il devient de plus en plus organisé, donc de plus en plus parfait.

Mais en même temps l’univers accumule le désordre sous forme d’entropie. Ce mélange de organisation et de désordre ne peut être une perfection.

XII LES IMPERFECTIONS ET LEURS AVANTAGES

La mécanique quantique, fondée sur la symétrie, interdit qu’on trouve une particule sans son antiparticule. Ors, le Big Bang a produit plus de matière que d’antimatière. Cette dissymétrie, imperfection fondamentale, permet que le monde existe.

Le biface, outil de l’âge de pierre, nous apprend que l’amour de la symétrie est inscrit en l’homme depuis toujours : ce n’est pas un besoin de la nature. L’homme a besoin de vivre dans un monde parfait, mais la nature ne s’inquiète ni de symétrie ni de beauté. La recherche d’une perfection dans le cosmos n’est pas une démarche scientifique.

 

La reproduction des êtres vivants devrait être une duplication exacte et précise. Mais il arrive qu’un défaut dans le processus fasse naître un descendant un peu différent : une mutation s’est produite. Ces malfaçons en séries assurent l’évolution biologique, depuis les simples bactéries jusqu’aux formes les plus complexes.

XIII ET NOUS CONTINUONS A CHERCHER LA PERFECTION

Les cosmologistes et les physiciens des particules cherchent toujours la grande unification, la loi qui explique le fonctionnement des atomes aussi bien que les mouvements des astres. La certitude que le cosmos est beau est toujours le grand ressort.

Dans cet esprit, nous établissons des classifications, aussi bien chez les coquillages que chez les étoiles ou chez les insectes. Mais c’est encore l’homme, non la nature, qui a besoin de classer.

XIV L’HOMME, LE MONDE ET DIEU

La relation heureuse entre le microcosme et le macrocosme est brisée depuis Copernic. Donc nous voulons retrouver la beauté mathématique du cosmos.

Et un monde privé de Dieu ne satisfait pas non plus. Mgr Lemaître a toujours refusé de dire que les lois qui dirigent l’univers ont été créées par Dieu pendant la première milliseconde.

XV INTELLIGENT DESING ET PRINCIPE ANTHROPIQUE

L’évolution biologique fait des êtres de plus en plus parfaits, jusqu’à l’homme. Donc elle suit un plan, un dessin intelligent, mené par un organisateur divin.

A moins que cette marche vers la perfection ne soit le résultat de la sélection naturelle selon Darwin.

Principe anthropique : puisque nous sommes là, les paramètres d’évolution du cosmos ont été ajustés dès le Big Bang pour que nous existions.

D’autres pensent que cette évolution ne prouve pas une intervention divine. Car c’est l’univers qui produit ses propres lois.

XVI UN AUTRE POINT DE VUE:L’HOMME INUTILE

L’homme a besoin de se sentir utile à la marche de l’univers. Et il a besoin de se sentir en confiance avec la nature. C’est un point de vue poétique. En fait, l’homme n’a aucune mission à accomplir dans la nature. Et celle-ci n’a aucune tendresse pour lui.

XVII ET POUR CEUX QUI PREFERENT: L’HOMME INDISPENSABLE

Lhomme a une conscience, les choses de la nature n’en ont pas. La mission de l’homme est donc de penser l’univers et de l’étudier pour le connaître toujours mieux et le ,penser toujours mieux.

CONCLUSION

La notion de perfection évolue à travers les siècles. Et chaque conception du monde retentit sur l’art.

La perfection du monde n’est pas une question scientifique. Si nous cherchions la perfection, beaucoup d’aspects apparaîtraient comme des malfaçons. Mais ces « défauts de fabrication » nous profitent.

Quant à la relation entre l’homme et le cosmos, l’état actuel de la science laisse place à plusieurs interprétations, que l’exposé a présentées : chacun peut y choisir son bien.